Pascal Vimenet - Le Nouveau Gulliver : montagnes russes et fantasmagorie soviétique

slovo:5244 - Slovo, 2 mars 2019, 48-49 | 2019. À l'Est de Pixar : le film d'animation russe et soviétique - https://doi.org/10.46298/slovo.2019.5244
Le Nouveau Gulliver : montagnes russes et fantasmagorie soviétiqueArticle

Auteurs : Pascal Vimenet 1

  • 1 Chercheur indépendant

Le Nouveau Gulliver (1935), premier long métrage d’animation soviétique noir et blanc, réalisé par Aleksandr Ptouchko, n’a pas fait l’objet d’études spécifiques jusqu’ici. Celle qui suit est contextuelle, biographique, tout autant qu’analyse filmique. Elle propose un nouvel éclairage sur l’itinéraire de Ptouchko (1900-1973), particulièrement sur les années 1920-1930 qui voit émerger son cinéma. Après avoir réalisé C’est arrivé au stade (1928) et Le Maître du quotidien (1932), Ptouchko prend la tête de la section du film animé des studios Sovkino devenus Moskinokombinat, puis Mosfilm. Le contexte politico-culturel d’émergence de son long métrage, entre 1927 et 1935, qui met en présence toute la diversité de l’avant-garde soviétique mais voit triompher le dogme du réalisme socialiste, est longuement examiné. Le film de Ptouchko semble réceptif aux théories burlesques des fondateurs de la FEKS. La marionnettisation des personnages du film de Ptouchko, les jeux symboliques d’échelle ont peut-être pris leur source dans ce mouvement. Mais comment Le Nouveau Gulliver, ce « ciné-conte », a-t-il pu s’imposer dans le contexte politique et résister aux sirènes réalistes socialistes ou en détourner certains codes ? Ptouchko choisit un conte philosophique doublé d’un pamphlet politique qui l’autorise à lier le merveilleux au politique. Audacieuse adaptation de Swift, superproduction moscovite, Le Nouveau Gulliver ambitionne de rivaliser, avec ses 1 500 marionnettes articulées, ses centaines de figurines en plastiline, leur combinaison à la prise de vue réelle et ses vingt décors, avec King-Kong. Le film de Ptouchko provoque l’admiration de Chaplin, qui en apprécie l’esprit facétieux. L’étude dissèque l’allégorie qui structure le film et s’attache à repérer dans la mise en scène tout ce qui fait écho au présent soviétique. Et quand il apparaît que l’hymne lilliputien, chant de la royauté honnie, anticipe de manière troublante L’Ode à Staline de 1939, il devient certain que Le Nouveau Gulliver, plus que de démontrer l’invincibilité de l’homo sovieticus, transforme l’histoire en montagnes russes et y fait pénétrer le concept explosif de l’uchronie.


Volume : 48-49 | 2019. À l'Est de Pixar : le film d'animation russe et soviétique
Publié le : 2 mars 2019
Importé le : 2 mars 2019
Mots-clés : [SHS.ART]Humanities and Social Sciences/Art and art history

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