Le Nouveau Gulliver (1935), premier long métrage d’animationsoviétique noir et blanc, réalisé par Aleksandr Ptouchko, n’a pas fait l’objetd’études spécifiques jusqu’ici. Celle qui suit est contextuelle, biographique, toutautant qu’analyse filmique. Elle propose un nouvel éclairage sur l’itinéraire dePtouchko (1900-1973), particulièrement sur les années 1920-1930 qui voitémerger son cinéma. Après avoir réalisé C’est arrivé au stade (1928) et Le Maîtredu quotidien (1932), Ptouchko prend la tête de la section du film animé des studiosSovkino devenus Moskinokombinat, puis Mosfilm. Le contexte politico-cultureld’émergence de son long métrage, entre 1927 et 1935, qui met en présence toutela diversité de l’avant-garde soviétique mais voit triompher le dogme du réalismesocialiste, est longuement examiné. Le film de Ptouchko semble réceptif aux théoriesburlesques des fondateurs de la FEKS. La marionnettisation des personnages dufilm de Ptouchko, les jeux symboliques d’échelle ont peut-être pris leur sourcedans ce mouvement. Mais comment Le Nouveau Gulliver, ce « ciné-conte », a-t-ilpu s’imposer dans le contexte politique et résister aux sirènes réalistes socialistesou en détourner certains codes ? Ptouchko choisit un conte philosophiquedoublé d’un pamphlet politique qui l’autorise à lier le merveilleux au politique.Audacieuse adaptation de Swift, superproduction moscovite, Le Nouveau Gulliverambitionne de rivaliser, avec ses 1 500 marionnettes articulées, ses centaines defigurines en plastiline, leur combinaison à la prise de vue réelle et ses vingt décors,avec King-Kong. Le film de Ptouchko provoque l’admiration de Chaplin, quien apprécie l’esprit facétieux. L’étude dissèque l’allégorie qui structure le film ets’attache à repérer dans la mise en scène tout ce qui fait écho au présent soviétique.Et quand il apparaît que l’hymne lilliputien, chant de la royauté honnie, anticipede manière troublante L’Ode à Staline de 1939, il devient certain que Le NouveauGulliver, plus que de démontrer l’invincibilité de l’homo sovieticus, transformel’histoire en montagnes russes et y fait pénétrer le concept explosif de l’uchronie.