L’historiographie littéraire turque semble avoir épousé la définition de la « turcité », établie au moment de l’indépendance en 1923, qui considérait comme turque toute personne de confession musulmane résidant à l’intérieur des frontières du pays, quelles que soient son origine ethnique et sa langue maternelle, et l’avoir imposé rétrospectivement au monde multiculturel des lettres turques ottomanes. En effet, les auteurs turcophones non musulmans ont été exclus de l’histoire de la littérature. Or, comme est mis en exergue dans la première partie de cet article, de nombreux échanges ont existé entre l’intelligentsia turque musulmane et les intellectuels non musulmans turcophones. Abordant la question de la littérature mineure en contexte ottoman, la deuxième partie présente les littératures arméno-turque, turque karamanli, judéo-turque et syro-ottomane en dialogue avec la culture littéraire turque ottomane. Notant que les auteurs non musulmans écrivant avec l’alphabet perso-arabe sont également largement absents des livres d’histoire de la littérature, l’article aborde dans la troisième partie l’impact de la « révolution des lettres » : l’adoption de l’alphabet latin en 1928. Celle-ci contribua non seulement à l’occultation des littératures mineures de la Turquie ottomane, mais aussi à celle des littératures féminine et populaire ainsi qu’à celle de la tradition progressiste turque ottomane.