À la fois outils et objets de recherche, les archives sont des lieux de mémoire qui permettent une enquête sur le passé associant des interrogations sur l’origine, l’identité et l’avenir. Abordées du point de vue de la construction, des usages et des spoliations par des institutions et par des individus, les archives présentées dans les études des jeunes chercheurs rassemblées dans ce numéro de Slovo deviennent un point de départ pour une interrogation sur les transformations des sociétés dans les aires géographiques d’Europe centrale et orientale et de l’ex-URSS. Cette interrogation nous permet d’abord de découvrir les différentes formes de mémoires (individuelle, collective, institutionnelle, identitaire) dans leur interaction avec des archives aux supports variés. Que le dispositif soit écrit ou oral, appartenant aux réseaux sociaux ou à la presse, de nature politique ou sociétale, les archives sont utilisées pour une réécriture ou une manipulation de l’histoire. Quant au domaine des arts et de la littérature, les archives non seulement apparaissent comme les témoins d’un processus de création, mais aussi participent de la conception esthétique d’une oeuvre. Questionner les archives revient ici à interroger leur statut en tant que source d’inspiration, outil d’interprétation, lieu de création et geste poétique. Enfin, les différents usages des archives par les chercheurs mettent en lumière des perspectives pour un renouvellement des études architecturales, littéraires ou musicales.
Les Doctoriales de l’Europe médiane, de l’espace russe et (post)soviétique, organisées par le Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) en juin 2021, ont réuni des doctorants et jeunes chercheurs autour du thème des archives, considérées à la fois comme outil et objet de recherche. Cette thématique, qui recouvre plusieurs disciplines et concerne plusieurs étapes de l’élaboration d’une thèse, a permis d’enclencher une réflexion fructueuse des participants sur leurs propres pratiques de recherche. Ayant pour objectif de mettre en valeur les travaux de jeunes chercheurs francophones qui contribuent à découvrir des archives inédites, mais aussi à renouveler le regard porté sur des documents déjà étudiés, cette publication entend également contribuer aux études interdisciplinaires des archives et de leurs usages dans les espaces d’Europe centrale et orientale et de l’ex-URSS.
Sur les réseaux VKontakte et Odnoklasniki, des communautés intitulées « Nés en URSS » proposent aux internautes de se plonger dans ce pays disparu, grâce à la publication d’archives photographiques représentant le quotidien soviétique. Les archives exposées sont autant d’allusions susceptibles d’éveiller chez le spectateur le souvenir du passé vécu et d’enclencher un travail de reconstruction du passé, exercé collectivement entre membres du groupe. Il s’agit d’une activité ludique de remémoration : le visiteur tombe sur des objets et il est invité à les reconnaître par les interpellations comme « qui s’en souvient ? ». Grâce à l’accumulation des archives, les communautés offrent également une synthèse de la culture soviétique. Les archives jouent ainsi le rôle de déclencheurs de la mémoire et d’échantillons représentatifs du monde d’hier. Cet article propose de porter un regard anthropologique sur la notion d’archives, en s’intéressant à la manière dont les individus en font usage pour stimuler leurs souvenirs et entretenir un sentiment d’appartenance à une communauté.
Comme dans beaucoup de pays ex-soviétiques, écrire l’histoire est encore une source de conflit politique sur fond mémoriel, y compris en Moldavie. Ce contexte difficile suppose le recours aux sources comme facteur d’impartialité. Toutefois, le tableau se ternit si le document participe également aux divergences d’opinions qui confondent le présent et le passé. L’histoire du communisme est marquée par la volonté du Parti de contrôler la diffusion de l’information sur le long terme. Ainsi, la Moldavie hérite des archives bessarabiennes, foyer du particularisme du communisme roumain et soviétique dans l’entre-deux-guerres. Comme il est de coutume dans les pays ayant eu un passé communiste, la période suivant 1989-1991 est représentative d’un changement lent et complexe. Ainsi, les Archives du Parti de la RSSM deviennent les Archives des organisations sociopolitiques de la république de Moldavie (AOSPRM), à l’image presque identique des archives russes RGASPI. Pour les historiens qui travaillent sur le communisme roumain ou sur le communisme transnational, il est compliqué de travailler sur ce type de document pour de multiples raisons : l’accès aux archives reste compliqué (bien que situés en centre-ville de la capitale, les locaux gardent plusieurs marques de l’héritage soviétique, ce qui complique la consultation, particulièrement pour les visiteurs étrangers) et les fonds sont difficiles d’accès du fait de la formulation […]
Cet article aborde le problème de la préservation de la mémoire des émigrés russes de la première vague installés en France pendant l’entre-deux-guerres. L’autrice s’intéresse au patrimoine visuel et audiovisuel des exilés, notamment à la caricature de presse et au cinéma, dont l’une des fonctions était de transmettre non seulement l’actualité, mais aussi le vécu des Russes sous toutes ses formes (divers émotions et sensations, sublimations des traumatismes, souvenirs du passé). L’autrice propose d’étudier quelques exemples de représentations visuelles de l’exil et des émigrés dans le cinéma et la caricature, sélectionnés parmi un corpus large de près de 1 000 dessins et 50 films conservés aujourd’hui dans des fonds de bibliothèques et d’archives audiovisuelles en France.
Cet article propose de repenser la logique chronologique selon laquelle le conte littéraire serait une évolution naturelle du conte oral et du conte populaire. Concernant les contes littéraires russes publiés au cours de la période romantique, du fait d’un processus d’archivage encore inachevé, l’accès aux contes oraux et populaires était encore inégal pour les écrivains. Le raisonnement selon lequel le conte littéraire s’appuierait nécessairement sur des contes oraux et populaires préalables peut en effet être remis en question. En s’intéressant à la façon dont les auteurs associent leur texte à un document antérieur, cette étude vise à souligner que la présence d’un conte source au sein de plusieurs contes littéraires russes de la période romantique résulte davantage d’une mise en scène de la part des écrivains que d’un réel gage d’authenticité.
À travers les films Révolte Russe (2000) d’Alexandre Prochkine et La Fille du Capitaine d’Ekaterina Mixajlova (2005), adaptations du roman du même nom d’Alexandre Pouchkine, cet article a pour objectif de mettre en lumière l’influence des Archives impériales russes sur l’élaboration de ces productions de l’ère post-soviétique. Si de nombreux réalisateurs ont adapté le récit littéraire de Pouchkine, inspiré de faits réels, seule la production datant de 2000 exploite autant les informations issues de l’essai Histoire de Pougatchov, qui a servi de base à la construction du roman. Cette étude tente d’éclaircir le regard que porte le cinéma post-soviétique sur l’histoire de cette révolte, perçue par les Soviétiques comme annonciatrice du soulèvement populaire qui accompagna la révolution de 1917. Elle permet de distinguer le mécanisme de déconstruction de la figure émancipatrice de Pougatchov qui s’opère après la chute de l’Union soviétique, à travers un parallèle avec le film d’animation d’Ekaterina Mixajlova.
Cet article propose d’étudier le manuscrit dessiné du roman inachevé Vadim, que Mikhaïl Lermontov (1814-1841) a composé entre 1832 et 1834. Les archives de Lermontov, comme des témoins matériels de création littéraire, offrent une possibilité d’accéder à l’œuvre sans intermédiaire éditorial. La page entièrement remplie de dessins et de croquis, lesquels peuvent être appelés « paratexte » du manuscrit, accompagne le texte de Vadim et caractérise Lermontov comme imagier du texte. En s’interrogeant sur la façon dont l’auteur dessine un portrait de génération à travers une analyse comparative du texte et de l’image, cet article montre que le paratexte pictural du manuscrit n’illustre pas tant une œuvre concrète, mais le processus de création et les recherches esthétiques de Lermontov.
Pour réfléchir aux moyens de proposer une nouvelle lecture de l’œuvre de Sorana Gurian (1913-1956), une écrivaine juive d’expression française et roumaine, seront mentionnés dans cet article certains de ses quarante-et-un textes inédits, dont trente-sept poèmes et quatre textes en prose, conservés sous forme de manuscrits ou de tapuscrits. Ces documents n’ont jamais été commentés, ni même mentionnés, dans les recherches sur cette écrivaine jusqu’en décembre 2020. L’exploitation de ce matériau replacé dans le contexte de l’ensemble des écrits de Gurian permet, selon moi, d’enrichir l’interprétation de ses textes principaux : ses esquisses et essais littéraires, pour lesquels je vais utiliser le terme d’« avant-texte », donnent un accès direct au processus créatif, car on y retrouve des éléments qu’elle inclura par la suite dans ses textes publiés. Ainsi, je vais présenter son œuvre littéraire de manière rétrograde, c’est-à-dire par l’intermédiaire des manuscrits et tapuscrits, pour établir l’importance considérable de quelques-uns de ces textes inédits malgré leur caractère secondaire ou officieux, lié à leur statut de brouillon.
Grâce aux progrès de la technologie, les archives numériques jouent désormais un rôle important dans la préservation de l’histoire. Les jeux vidéo font également partie de cette sauvegarde. Des archives de jeux vidéo sont créées dans le monde entier pour des intérêts scientifiques, historiques, culturels et techniques. L’objectif de cet article est de construire une réflexion autour des fonctions des jeux vidéo et la possibilité de les considérer comme des archives. Quatre fonctions d’archives et de quatre jeux vidéo (Hell Let Loose, Company of Heroes 2, Kholat et Assassin’s Creed : Origins) contenant des éléments culturels et historiques russes permettront d’éclairer les fonctions de ces jeux vidéo ainsi que les similitudes avec les archives dites « classiques » et d’apporter un nouveau regard sur la valeur culturelle et éducative des jeux vidéo.
Les édifices qui constituent mon corpus de recherche m’incitent à questionner mon approche archivistique concernant l’architecture en milieu socialiste. L’étude d’un projet architectural demande que l’on s’intéresse aux contraintes, aux raisons de la construction et à l’interprétation. Les archives en architecture constituent également des objets de recherche en eux-mêmes. En effet, il existe plusieurs volets – « administratif », « graphique », « oral » et « in-situ » – qui sont à étudier en parallèle des bâtiments. Cet article est l’occasion de se familiariser avec les différentes sources invoquées en matière d’analyse architecturale.
Cet article a pour objet l’élaboration d’une piste d’intégration de l’enregistrement sonore de la lecture d’un texte par son auteur dans le cadre de recherches en littérature. Le texte se penche plus précisément sur l’enregistrement de la lecture de Moscou-sur-vodka par Venedikt Erofeev en 1980. Cet enregistrement renvoie à la problématique de l’interprétation littéraire et de la voix. En effet, par la double intervention d’Erofeev, lors de la rédaction puis la lecture publique du texte, cet enregistrement pourrait possiblement restreindre la diversité interprétative de l’œuvre. Pourtant, le contexte et la nature de cette lecture publique ne mènent pas nécessairement à l’écueil de l’interprétation strictement centrée sur l’auteur. Cette lecture enregistrée à haute voix d’Erofeev s’apparente plutôt à un rappel de la vocalité intrinsèque de l’œuvre – un aspect du texte qui peut se perdre lors de la lecture silencieuse répétée.
Cet article étudie la réception en France des discours des autorités soviétiques sur la musique. La période de l’après-guerre est intéressante à plus d’un titre. Le paysage politique évolue avec les décès de Jdanov et Staline et deux décrets relatifs à la production musicale sont publiés en 1948 et 1958. Les bulletins de presse du ministère des Affaires étrangères et la production journalistique et intellectuelle à prétention savante du PCF sont des indicateurs de la réception de la musique soviétique dans l’espace public français. Nous apprécions l’évolution de la censure en URSS grâce aux discours en France sur le musicien professionnel et l’opéra soviétiques. La censure en URSS n’ayant pas toujours été maîtrisée, il convient de questionner le rôle des intellectuels communistes soviétiques et français. Nous appréhendons ainsi le réalisme socialiste en musique, mais aussi les désaccords que produit l’application de tels principes idéologiques. Bien que les sympathisants français traitent abondamment les actualités musicales soviétiques, on est amené à observer des divergences d’opinion, résultats de la diversité des cadres éditoriaux.